Droit du numérique

droit du numérique, nicolas bremand

Le droit numérique est la partie du droit spécifique aux nouvelles technologies. Il régit les problèmes créés par l’émergence de la société de l’information, et vise principalement :

  • la protection de la vie privée mise à mal par la collecte informatique des données,
  • la protection de la propriété intellectuelle, les œuvres étant facilement copiables illicitement sous leur forme numérique.
  • l’accessibilité numérique contre fracture numérique.

Table des matières

Définition du droit du numérique

En moins de 10 ans, le « droit de l’internet » ou droit du numérique, devient une réalité même si internet est encore considéré comme une zone de « non droit ». Le droit « normal » s’y applique déjà, de fait, comme partout.

Deux lois encadrent les fondamentaux de cette nouvelle législation autour du droit du numérique :

– la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978,
– la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004.

Il faut retenir, que le droit numérique est :

Un droit spécifique aux nouvelles technologies.

Il règle :

  • la protection de la vie privée,
  • la protection de la propriété intellectuelle,
  • l’accessibilité numérique

Il est constitué de quatre types de sources :

  • la loi (ou le règlement européen),
  • la jurisprudence,
  • les contrats,
  • les chartes.

Le droit et le numérique

Trois types de rapports – Certains auteurs n’hésitent pas à qualifier la progression des technologies numériques de « troisième révolution industrielle ». Il est vrai que la maîtrise de la vapeur, puis celle de l’électricité et du pétrole, avaient ceci en commun qu’elles avaient entraîné une transformation globale de la société des hommes. Elles avaient placé au service des industries comme des particuliers des armées d’esclaves mécaniques, décuplant la productivité des usines, réduisant les distances à la surface du globe, augmentant, au sein des foyers, le confort de vie et le temps dévolu aux loisirs. Mais les progrès des ordinateurs ainsi que des réseaux informatiques ont eux aussi un impact global. La force procurée aux individus se situe certes sur le plan immatériel plutôt que tangible. Les capacités qui leur sont conférées consistent à produire, comprendre, analyser, trouver, projeter au loin des informations comme jamais ils n’avaient pu le faire auparavant. C’est donc l’intelligence de la société humaine qui se trouve renouvelée, au sens littéral : les instruments par lesquels elle observe le monde, se forme une opinion de lui, en propose un discours. L’ensemble des interactions humaines s’en trouve potentiellement altéré : on pressent dès lors que le droit, en tant qu’il constitue une « grammaire de la société », sera sommé d’évoluer dans de nombreux domaines – ce qui ne signifie pas, tant s’en faut, que toutes ces injonctions méritent obéissance.

Les points de contact du droit et des progrès informatiques seront donc nécessairement innombrables. Proposons toutefois une première esquisse de leurs rapports, d’où il résulte que le numérique peut se trouver dans une relation de collaboration, de concurrence ou de soumission avec le droit.

Placé sous la responsabilité de Bruno Deffains, professeur à l’Université Panthéon-Assas et membre de l’Institut universitaire de France, le nouveau pôle numérique du Club des juristes est « une conséquence de l’arrivée des legal tech sur le marché du droit français ».

En effet, ces technologies appliquées au droit ont auparavant bouleversé l’activité et l’économie des cabinets d’avocats outre-atlantique, en proposant divers logiciels permettant par exemple l’automatisation de services juridiques. L’activité de conseil a ainsi été la première à connaître l’invasion massive du numérique. Et la France n’a pas échappé à la règle.

Ce pôle numérique réunit donc une vingtaine d’experts (avocats, juristes, universitaires, membres de legal tech, notaires, etc.), chargés de « proposer des analyses, des études et des approches originales en vue de comprendre et de faciliter la transition de la filière Droit vers ce nouvel environnement en s’appuyant sur l’expertise de professionnels de différents secteurs et d’universitaires. »

Interroger les droits et libertés

Les interactions entre les technologies du numérique et le droit constitutionnel se manifestent particulièrement en matière d’exercice des droits et libertés fondamentaux, qu’il s’agisse évidemment des libertés de communication et d’information ou de la protection de la vie privée et des données personnelles. Le perfectionnement de la géolocalisation, l’exploitation commerciale du « Big Data », les nouvelles techniques de surveillance et de fichage, les dérives possibles dans l’utilisation des données personnelles et de santé, la montée en puissance des réseaux sociaux ou la cybercriminalité sont autant de défis posés à la garantie des libertés. L’outil numérique peut être mobilisé au service de la protection de l’ordre et de la sécurité publics autant qu’il peut être vecteur d’atteintes aux droits, comme l’ont illustré la loi Renseignement du 24 juillet 2015 ou les révélations relatives aux politiques de surveillance généralisée développées par certains services.

Le numérique constituant un nouvel espace d’exercice des droits et libertés, à la lisière de l’espace public et de l’espace privé, il oblige à réaménager les modalités de garanties ainsi que le contenu de ces droits et libertés, voire d’en créer de nouveaux. Outre la redéfinition des contours de la liberté de réunion, de la liberté d’expression et de communication, le droit à l’information et à la participation, par exemple, peut être approfondi. La protection du droit d’auteur, de la vie privée, de la dignité, par exemple, doit être adaptée. D’autres droits, tels le droit à l’instruction ou le droit au secret du vote peuvent être affectés par les nouvelles technologies du numérique. Les droits économiques et sociaux sont également concernés, à l’image du phénomène d’« uberisation », dont le Conseil constitutionnel a été saisi à plusieurs reprises, ou des enjeux relatifs aux droits des travailleurs ou au secret des affaires. La conciliation de la liberté d’entreprendre, de la liberté du commerce et de l’industrie et du droit de propriété doit être repensée. Sans nul doute, l’irruption de problématiques numériques dans le contentieux des droits et libertés interroge le rôle du droit et du juge, confrontés à des évolutions techniques complexes qui supposent une expertise particulière. D’autant que la révolution numérique fait apparaître des droits de nouvelle génération, tel le droit à l’oubli et le droit au déférencement, la liberté d’accès à internet, ou le droit d’accès aux données en open data, dont les fondements et contours doivent être précisés.

Alors que l’individu s’aventure dans un monde déterritorialisé, la protection des libertés doit s’appuyer sur des principes juridiques identifiés et clairement réaffirmés, et sur une large palette d’outils de régulation. Le juge a un rôle majeur à jouer, aux côtés des autorités indépendantes spécialement compétentes, telles la CNIL, forte de son expertise technique et juridique, ou, dans leurs domaines respectifs, le CSA ou la HADOPI. Afin de mettre en lumière les nouvelles dimensions numériques des libertés individuelles et publiques constitutionnellement protégées, la jurisprudence constitutionnelle est « constructive et évolutive », permettant d’accompagner la « consécration de nouvelles dimensions des droits et libertés fondamentaux, voire de nouveaux droits à part entière ». Ainsi, la liberté d’accéder à Internet, proclamée par le Conseil constitutionnel en 2009, pourrait se transformer en droit opposable. La portée et les limites du droit d’accès à l’information sur internet, en lien avec le principe de transparence, sont progressivement précisées. Dans l’attente d’une éventuelle inscription de la protection des données personnelles dans le texte de la Constitution, le principe fait l’objet, avec le droit à la vie privée, d’une jurisprudence nourrie. Et l’on suppose un prochain positionnement du Conseil constitutionnel sur le droit au déférencement, prolongement technique du droit à l’oubli, reconnu par la Cour de Justice de l’Union européenne depuis 2014. Celle-ci joue un rôle majeur, s’appuyant sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union et sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme pour protéger les intérêts des utilisateurs européens, dans un contexte tendu par l’affaire Snowden. Elle bataille pour garantir un haut niveau de protection des données personnelles (invalidation du Safe Harbor), et veille à la protection de la vie privée des internautes qui utilisent les services de compagnies américaines (enjeux du Privacy Schield adopté par la Commission européenne et entré en vigueur le 1er août 2016), en liaison avec la CNIL et le réseau des CNIL européennes (G29). Car en matière de gouvernance du monde numérique comme en matière de protection des droits et libertés, c’est aussi et surtout à l’échelon européen que les problématiques peuvent être utilement traitées.

L’identité numérique

L’identité comme essence – Dans un dictionnaire usuel, « l’identité » peut se définir comme « le caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité ». Définir ce qui est au fondement d’un être : l’opération semble démesurément ambitieuse. Elle l’est. M. Daniel Gutmann expose que l’identité personnelle, pour la philosophie, est la réponse à la question : « jusqu’à quel point peut-on changer tout en demeurant la même personne ? ». Il rappelle les expériences de pensée proposées au cours des siècles et visant à déterminer quand un individu cesse d’être lui-même. Ainsi Locke imagine-t-il le transfert de l’âme d’un prince dans le corps d’un savetier, avant de s’interroger : avons-nous toujours affaire à la même personne ? Plus de trois siècles après, on voit se profiler le jour où le fantasme de l’intellectuel se transformera en une question solennellement soumise à un comité d’éthique. Les chirurgiens ont déjà procédé à des greffes de visages, et envisagent de greffer bientôt des têtes humaines sur des corps morts. Le courant transhumaniste rêve quant à lui de répliquer la mémoire et les processus cérébraux d’un être humain dans les circuits d’une machine, après sa mort… voire de son vivant. Dans ces exemples, où se trouve l’individu ? À cette vertigineuse question, la philosophie n’apportera sans doute aucune réponse définitive.

La communication électronique

« Une conversation mondiale sans fin » – L’étude des données à caractère personnel nous a conduits à aborder à plusieurs reprises, la question des communications électroniques. Ce que l’individu dit aux autres, ce à quoi il tend l’oreille, les échanges d’idées auxquels il prend part, sous forme de texte, mais aussi d’images fixes, de vidéo, de sons, participent profondément de ce qu’il est. Ils devaient donc se rencontrer incidemment dans une étude de ce qui constitue l’identité numérique. Il est temps, toutefois, de faire de la communication notre centre d’intérêt principal, de sortir la personne de l’examen isolé à laquelle nous l’avions soumise, pour la faire entrer en relation avec le monde. Or, Internet est tout entier communication : entre les machines, entre les réseaux et, partant, entre les hommes. Comme tout média, il peut être le support d’expressions qui heurtent des valeurs sociales, parmi les plus essentielles. On peut y inciter à la haine, y dégrader la dignité humaine, y préparer la commission d’actes terroristes ; des honneurs y sont traînés dans la boue, et des sexualités perverses s’y épanouissent. À ce titre, il est amené à devenir la cible constante du législateur. Mais comme tout média, il peut servir l’accès à la culture, le débat d’idées et la contestation du pouvoir politique. Des libertés fondamentales peuvent donc être brandies contre les attaques du Parlement. Si ces tensions ne sont pas nouvelles dans leur principe même, sans doute sont-elles inédites par leur intensité. Internet n’est pas aujourd’hui l’un des supports de communication : il est le plus puissant d’entre tous.

Dès 1997, la Cour suprême des États-Unis eut à examiner une législation fédérale visant à protéger les mineurs des contenus à caractère pornographique. Une association américaine de défense des libertés publiques estimait qu’elle était contraire au Premier amendement à la Constitution, qui défend le droit à la liberté d’expression. L’un des juges du tribunal de district dont la décision était attaquée avait écrit qu’Internet peut être regardé « comme une conversation mondiale sans fin ». Quant à la Cour suprême, voici comment elle présenta les enjeux de l’affaire qui lui était soumise :

[…] The Web is thus comparable, from the readers’ viewpoint, to both a vast library including millions of readily available and indexed publications and a sprawling mall offering goods and services.

From the publishers’ point of view, it constitutes a vast platform from which to address and hear from a world-wide audience of millions of readers, viewers, researchers, and buyers. Any person or organization with a computer connected to the Internet can « publish » information […].

La Cour précisa que la liberté d’expression devait être protégée de manière plus intense en ligne qu’en matière audiovisuelle, notamment parce que la consultation de sites Internet requiert des démarches positives et peut faire l’objet d’avertissements, alors qu’une émission de radio ou de télévision est subie par le spectateur.

Deux leçons peuvent être retenues de cette décision américaine, rendue très tôt dans l’histoire du développement grand public d’Internet. D’abord, des différences dans les modes de production ou de consultation de l’information sur les réseaux, par rapport aux médias préexistants, peuvent justifier une réglementation juridique ou des raisonnements particuliers – nous y reviendrons largement. Ensuite, Internet ne peut être décrit comme un mode de communication anodin parmi tous ceux offerts aux citoyens : sa place centrale dans les formes contemporaines d’échanges d’informations confère une gravité particulière aux restrictions qui l’affectent. L’affirmation audacieuse de 1997 est devenue vérité d’évidence douze ans plus tard, lorsque le Conseil constitutionnel français doit se prononcer sur la loi dite Hadopi.

Les 15 mesures clés du droit du Numérique :

Le droit du numérique encadre déjà une bonne partie des sujets qui demeuraient flous jusqu’alors. Avec la loi Numérique qui a été instaurée, ce ne sont pas moins de 15 mesures qui s’appliquent dés à présent.

  • Élan en faveur de l’Open Data.  Les principales administrations devront mettre en ligne, d’ici deux ans, différents documents publics en leur possession.
  • Amendes de la CNIL. Passant de 150 000 euros à 3 millions d’euros.
  • Revenge porn. Sanctionner plus facilement les internautes mettant sur le net des images intimes de leurs ex-partenaires.
  • État et logiciels libres. Les administrations devront encourager l’utilisation des logiciels libres.
  • Liberté de panorama. Les auteurs et ayants droit ne pourront plus s’opposer à ce que des particuliers prennent des photos « d’œuvres architecturales et de sculptures placées en permanence sur la voie publique » (Tour Eiffel, Pyramide du Louvre…).
  • Traduction vidéo en langue des signes. Les administrations devront les mettre à disposition des personnes sourdes et malentendantes, au titre de leur accueil téléphonique, un service de traduction simultanée devra être accessible via un logiciel de chat vidéo. Les plus grandes entreprises sont également contraintes de suivre ce mouvement, sous deux ans.
  • Droit à l’oubli pour les mineurs. Il est maintenant possible de réclamer la suppression de photos ou de vidéos mises en ligne des victimes avant leurs 18 ans.
  • Maintien de la connexion à Internet. Se basant sur le modèle des factures de l’eau, du téléphone ou de l’’électricité, toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières ne pourra plus voir sa ligne suspendue.
  • Loyauté des plateformes. Les moteurs de recherches tels que Google et Bing devront fournir « une information loyale, claire et transparente » à leurs utilisateurs.
  • Reconnaissance de l’e-sport. Les conditions d’organisation des compétitions de jeux vidéo sont définies dans un cadre plus clair.
  • Mort numérique. En cas de décès de l’internaute, les héritiers ne pourront, en principe, avoir accès à ses données uniquement qu’en vue et au moment du partage de la succession et de l’éventuelle clôture de ses comptes (Facebook, Gmail, etc.).
  • Victimes d’infractions à la loi Informatique et Libertés. Gardienne des données personnelles, elle pourra ordonner aux responsables de manquements à la loi Informatique et Libertés qu’ils « informent individuellement » de leur condamnation ( à leur frais) chacune des personnes concernées par leurs infractions. Cela signifie que vous pourriez prochainement être averti qu’un site s’est malencontreusement fait dérober l’adresse mail et le mot de passe que vous lui aviez confié…
  • Airbnb. Certaines villes pourront demander à leurs résidents, louant leur logement sur un site de mise en relation (tel qu’Airbnb) de s’enregistrer via Internet.
  • Droit de récupération de ses données. À compter du 25 mai 2018, les internautes devront pouvoir télécharger en quelques clics l’ensemble des données qu’ils ont mises en ligne.
  • Neutralité du Net. La loi Numérique transpose le principe de neutralité du Net comme le « zéro rating » (l’exemption d’un service du décompte de données sur mobile).