L’enseignement et la recherche sont liés par la transmission de connaissances par deux moyens différents.

Table des matières

L’enseignement aux juristes

Depuis quelques décennies, l’histoire de l’enseignement du droit à l’époque contemporaine est, en France, un chantier en plein essor. En témoigne la création de la Société pour l’histoire des facultés de droit en 1983, qui a permis la coordination et le développement d’un champ de recherches jusqu’alors délaissé. Cependant, cette histoire des facultés de droit est longtemps restée une histoire des doctrines qui y étaient enseignées et des écoles qui s’y affrontaient. Il a fallu attendre une période plus récente pour que l’historiographie se saisisse des lieux de l’enseignement du droit en eux-mêmes, dans le cadre d’une socio-histoire attentive au fonctionnement de l’institution, à son personnel, ses étudiants, ou encore ses ressources budgétaires. Alors que de telles études fleurissaient déjà dans d’autres disciplines (v. par exemple les travaux de Charles, 2004 ; Picard, 2007 ; Singaravelou, 2009 ; Ferté et Barrera, 2010), les initiatives se sont multipliées ces dernières années chez les juristes, parfois en lien avec les débats actuels liés à l’autonomie des universités ou la rénovation de l’enseignement du droit dans un contexte de globalisation (Ancel et Heuschling, 2016 ; Jamin et Van Caeneghem, 2016).

Que faut-il enseigner au futur juriste? Pour les tenants du modèle des écoles de droit, la réponse à cette question ne saurait faire de doute: dans la mesure où il s’agit de former des professionnels du droit, il convient d’enseigner le droit en vigueur, c’est-à-dire le contenu des textes et l’état de la jurisprudence, qu’ils auront ensuite à appliquer; la professionnalisation débouche ainsi sur une conception strictement positiviste de l’enseignement du droit. Telle était la conception napoléonienne, à peine assouplie par l’École de l’Exégèse; et cette conception, contre laquelle «Critique du droit» entendait s’élever, reste encore dominante dans l’enseignement du droit. Or, la professionnalisation n’est nullement incompatible avec une vision différente de l’enseignement du droit, jouant le jeu de la pluridisciplinarité et s’émancipant de la simple dogmatique juridique.

Quel est votre ressenti par rapport aux pratiques actuelles d’enseignement en droit dans les Universités françaises ?

Si l’activité même d’enseignement (en amphithéâtre pour les effectifs importants et en salles de cours pour les plus petits effectifs) a finalement peu évolué, en revanche, de nombreux efforts sont faits pour équiper les amphithéâtres et salles de cours des technologies nouvelles (vidéo projecteur, connection internet notamment), ainsi que, plus globalement, pour favoriser les échanges entre enseignants d’une part et entre enseignants et étudiants d’autre part, via l’outil numérique.

L’université Paris Nanterre propose par exemple un accès à des MOOC (« cours ouverts en ligne à tous » ou « massive open online course ») mais aussi un accès à la plateforme FUN (France Université Numérique) qui est une plateforme de MOOC mise à disposition des établissements de l’enseignement supérieur français. Les enseignements proposés sont aussi divers que riches.

Nicolas Brémand

Les matières du droit

S’agissant des matières, elle renvoie à la transformation des métiers du droit eux-mêmes, par les algorithmes et l’intelligence artificielle. Le développement de la justice prédictive en constitue un exemple. Si les métiers du droit évoluent, si leur plus value se déplace, pour l’avocat, le juge, le notaire, l’huissier de justice ou le policier par exemple, l’enseignement devra évoluer pour préparer les futurs professionnels à ces nouveaux métiers. Cela comprendra deux dimensions : une dimension substantielle (pour ne pas dire philosophique) qui sera de comprendre le sens de ce nouveau métier (la justice prédictive est-elle encore la justice ?), et une dimension technique ; comment le juriste doit utiliser l’outil numérique, quel outil numérique pourra être accepté (l’algorithme devra-t-il être éthique ?). C’est, de ce point de vue, une petite révolution mais aussi un passionnant défi.

S’agissant des supports, la question indirectement posée est celle de savoir si les cours avec la présence physique de l’enseignement seront/devront demain être remplacés par des MOOC ou des FLOT (formation en ligne ouverte à tous). Cela est parfois annoncé comme l’enseignement d’avenir. De fait, la dimension budgétaire pourrait peser lourd dans les choix à venir car le recours au MOOC ou FLO serait sans doute source d’importantes économies pour l’Etat.
Il me semble que la solution sera celle du compromis. Un enseignant est d’abord un pédagogue ; enseigner, il faut le rappeler, est un métier. Je ne crois pas à un enseignement de qualité, permettant à tous d’évoluer, sans contact direct avec l’étudiant. En revanche, je pense que des cours en ligne pourraient être un support pour préparer des enseignements qui seraient alors plus ciblés sur la pédagogie et se recentrer ainsi sur l’un des aspects nobles de ce métier.

Au-delà, votre question pose celle plus globale d’une révolution de l’éducation par l’intelligence artificielle, à l’image de celle annoncée par Laurent Alexandre dans son ouvrage sur « La guerre des intelligences ». Mais c’est ici aller très (trop) loin dans ce que sera l’intelligence artificielle demain. Il faut donc veiller, surveiller, échanger et suivre l’évolution pour, toujours, rester adaptés et demeurer à la disposition des étudiants.
Nous avons, et la grande majorité des enseignants le croient, une mission d’intérêt général.

Il reste, et c’est peut-être cela le plus délicat, à former et habituer les enseignants aux nouvelles technologies. Autrement dit, il faut créer une « culture numérique » pour tous les enseignants.

La recherche juridique

C’est tout d’abord une méthode, puis c’est un raisonnement.

Nicolas Brémand recherche en droit de l'Union européenne et du numérique

La méthodologie

Les cours de méthodologie du droit ont un contenu différent au premier cycle et aux cycles supérieurs, du moins dans les facultés de droit québécoises. Au premier cycle, la formation prépare surtout les étudiants à faire carrière dans l’une des professions juridiques. Aux deuxième et troisième cycles, il s’agit plutôt de les former à la recherche. Les cours aux
cycles supérieurs empruntent souvent à la méthodologie des autres sciences sociales, ce qui tend à conforter l’impression suivant laquelle le droit n’aurait pas de méthode de recherche qui lui soit propre. Y aurait-il disjonction entre la pratique du droit, qui aurait développé une certaine méthode, d’une part, et la recherche en droit ou sur le droit, qui en serait dépourvue, d’autre part ? Nous ne le croyons pas. La recherche en droit ou sur le droit n’est pas en quête de méthodes, mais elle est en quête d’identité quant à ses méthodes.

Nous prenons comme point de départ un article marquant du philosophe canadien Charles Taylor publié pour la première fois en 1971, « L’interprétation et les sciences de l’homme ». Cet article oppose deux modèles méthodologiques qui ont cours dans les recherches en sciences humaines et sociales. Le modèle empirique-logique emprunte au positivisme scientifique issu des sciences de la nature. Plusieurs sciences sociales ont développé des méthodes de recherche inspirées de ce modèle : la sociologie, la psychologie, l’économie et la science politique, par exemple. Taylor entendait remettre en question la pertinence du modèle empirique logique, qui semblait en voie de dominer les sciences humaines. Il se portait à la défense des approches fondées sur un deuxième modèle, l’herméneutique, ce qui, dans une conception large, englobe les courants interprétativiste et constructiviste qui se sont développés dans plusieurs domaines des sciences humaines, dont le droit.
L’application des deux modèles dégagés par Taylor à la recherche en droit et sur le droit permet de rendre compte des différentes facettes de la recherche juridique et des choix méthodologiques qui s’offrent à elle. Elle permet aussi de mieux comprendre l’ambivalence des juristes et la perplexité des chercheurs des autres disciplines à l’égard du positivisme juridique. Nous croyons que la recherche en droit (perspective interne) doit s’émanciper complètement de l’influence du modèle empirique-logique issu du positivisme scientifique et véhiculé par le positivisme juridique, influence que nous jugeons néfaste et que nous critiquons. Nous reconnaissons toutefois un rôle important au positivisme scientifique dans la recherche sur le droit (perspective externe ou interdisciplinaire), car le modèle empirique logique s’avère très efficace pour observer et critiquer le droit.

Les buts de la recherche en droit

Qu’est-ce que la recherche en droit ? La recherche, qui commence par un travail de thèse et se poursuit lors d’une carrière d’enseignant-chercheur, c’est pouvoir endosser de nombreuses missions : 

–          Émettre une opinion dans l’élaboration des lois : comparer les législations de différents pays pour trouver des solutions innovantes, trouver les théories à développer pour des problèmes  très concrets (par exemple la responsabilité pénale de l’Etat, aujourd’hui encore au cœur des débats …).

–          Théoriser des mécanismes pratiques, commenter leur cohérence, leur incohérence …

–          Redécouvrir des documents et les diffuser, les analyser.

–          Informer la doctrine par le biais d’articles.

–          Expliquer des mécanismes institutionnels dont les rouages sont parfois peu clairs.

–          Aiguiller les avocats grâce à des analyses de jurisprudence.

La recherche profite donc à l’ensemble de la communauté juridique. A noter que le poste de chercheur en droit n’existe pas en temps que tel, une charge d’enseignement accompagne toujours des travaux de recherche.